Jean-Louis St-Arneault

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“Je suis un psychopathe de la première ligne”

50 mètres. C’est la distance qui sépare l’appartement de Jean-Louis Saint-Arneault du téléphérique de La Grave. Il a beau avoir 40 piges, chaque matin, le québécois plante son snowboard dans la queue de la remontée mécanique pour être le premier. Il attend 1h30 au chaud puis court pour être tout devant. “Je suis un psychopathe de la première ligne, sans cesse en quête de la vision de perfection de la nature. Je ne veux pas être affecté par la trace d’un autre, la glisse doit être pure. C’est comme une recherche d’esthétique.”

L’apprentissage se fait très tôt. À l’âge de 2 ans, grâce à des parents passionnés, Jean-Louis passe chaque week-end sur des skis. À 13 ans vient la période du skate ; une passerelle spontanée vers l’univers des snowparks. Il part ensuite en club, mais pas le genre de club où le moniteur vous tient par la main, quadrille la piste à l’horizontal et vous promène en file indienne. “Un bus venait nous chercher et on nous lâchait dans la montagne sans personne.” Son monitorat de snowboard en poche à l’âge de 20 ans, il quitte finalement Montréal pour les Rocheuses. Direction Fernie où il y rencontre un bon crew de skieurs avec qui il commence à rider la poudreuse. Il délaisse alors les parcs et commence à monter les sommets. L’objectif : faire des lignes. “Je traînais qu’avec des skieurs donc obligé de courir derrière. Comme je devais aller vite, j’ai pris leur rythme.” En matant des vidéos, un spot l’interpelle : La Grave. Une seule remontée mécanique et zéro piste ; le symbole même de l’esprit Freeride au plein cœur des Hautes-Alpes. “Je savais même pas que c’était en France, je le prononçais à l’américaine. J’ai rencontré une française, on s’est mariés et on a déménagé en France. On a atterri à Tignes mais je n’avais que La Grave en tête. J’y suis parti, elle est restée.» Là-bas, l’esprit village backcountry canadien l’agrippe comme le baudrier qu’il va finir par enfiler. Pas de poudreuse sans équipement. « C’est là que j’ai découvert la montagne pour vrai. C’était il y a 14 ans et depuis, le voyage ne s’est jamais arrêté.”

“Le plus important, c’est d’écouter la montagne et son instinct.”

À l’époque, impossible pour Jean-Louis et sa vision urbaine de la pratique d’imaginer porter un sac à dos rempli de cordes. Il passe ses 25 premiers jours à La Grave tout seul. “Tout le monde était en swallow, j’étais en petite planche. Personne voulait rider avec moi.” Et puis il a suffi d’un jour, d’un Kicker au-dessus de la tête des mecs. “Ils m’ont vu voler. Je me suis perdu dans la forêt, c’était fou ! Le temps que je redescende, tout le monde s’était passé le mot. On m’a filé un baudrier, un mec a commencé à me mettre une sangle et c’était parti !”

Depuis, Jean-Louis s’est habitué à la paire de crampons, aux piolets, aux maillons rapides, pitons, coinceurs, tournevis, kit d’extraction de crevasse pour sortir son pote en cas de chute dans un trou, colle de contact et ficelle. Même les lacets de ses chaussures de skate font l’affaire. “Sur une journée en forêt, je pars au moins avec une pelle convertible en piolet et une sonde. Si on part en mission, j’embarque tout le sac à dos dont la corde de 60 mètres, et un copain avec la sienne.” Partir en mission équivaut à rider une pente sans en connaître les conditions. “Sur 2000 mètres de dénivelé, il faut être prêt à tout. Je suis prêt à me mettre en danger pour aller sauver mon pote. Si je me fais surprendre dans une avalanche ou dans de la glace, je sais aussi qu’ils vont descendre en rappel et venir me chercher. C’est de la haute montagne, tout peut changer rapidement ; une chute de pierres qui se transforme en avalanche, une grosse glace, un rappel sur 50 mètres… À chaque fois que je suis dans ce téléphérique, je sais comment je monte mais je ne sais jamais comment je vais descendre. Il faut accepter le danger et le risque. Le plus important, c’est de savoir lire les signaux, écouter la montagne et son instinct.”

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“Je voulais juste faire comme les pros skaters qui ont influencé ma jeunesse et lancer du matos dans la foule ! J'ai quand même gardé la bouteille de Chartreuse.”

Prendre au sérieux les risques, jamais soi-même, voilà l’une des seules règles qui gouverne le milieu Freeride à l’image du Derby de la Meije, cette course emblématique qui rassemble chaque année plus de 1000 personnes à La Grave. “1800 mètres de dénivelé. Il n’y a pas d’itinéraire prédéfini. C’est à chacun de trouver sa ligne avec un départ à dix toutes les dix minutes.” Ancré dans le patrimoine du Freeride français, le Derby, c’est la raclette après l’effort, le baume au cœur passé sur le push d’adrénaline. C’est tout l’esprit Freeride en un event. Jean-Louis se rappelle notamment des éditions 2012 et 2014 où il s’est vu couronné à domicile. “C’est cool de pouvoir mettre son nom sur ce palmarès et d’avoir été le dernier local à ramener le titre à la maison. Le mieux, c’est de ranimer le feu chez les gens du village. À mon deuxième passage sur le podium, j’ai lancé tous mes lots dans la foule et j'ai donné mon prize money à une association locale. J'ai quand même gardé la bouteille de Chartreuse.”, raconte-t-il. “Je voulais juste faire comme les pros skaters qui ont influencé ma jeunesse et lancer du matos dans la foule ! J'ai toujours galéré et bossé dur pour vivre mes passions. Forcément, tu te prends pas au sérieux quand tu flip des burgers pour te payer des boards.”

Quand Jean-Louis Saint-Arneault mentionne la communauté Freeride et son équipe, il évoque aussi sa rencontre avec le mythique Paul Gascoin que nombreux considèrent comme une légende vivante, notamment l’un des premiers à avoir porté la combinaison Arlequin de chez Oxbow en 1985. “La première fois que je l’ai vu, il m’a payé une bière, je savais pas qui c’était. Plus tard, on est partis pour un run au sunset. On a fini à la nuit. Paul est un pionnier que j’ai appris à connaître en tant qu’humain. Avec Paul, on est pareil : on vit pour la première trace. Il est fier que je reprenne le flambeau. Je le suis aussi.”

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